La technologie a transformé nos existences, depuis la façon dont nous vivons à ce que nous mangeons. En effet, elle a transformé la production alimentaire mondiale, et, dans le monde entier, fait sortir des individus de la pauvreté et de la famine. C’est là le point le plus positif. Ce qui l’est moins, c’est que l’utilisation d’engrais, de produits agrochimiques et de techniques d’irrigation sophistiquées a engendré, à l’échelle internationale, une dépendance croissante aux cultures à haut rendement, telles que le blé, le maïs et le riz, nous rendant vulnérables à toute défaillance de leurs chaînes d’approvisionnement.
Plus de sept milliards de personnes dépendent de ces cultures et compte tenu des prévisions des Nations Unies indiquant que ce chiffre pourrait atteindre la barre des 9,8 milliards en 2050, la pression sur nos systèmes alimentaires sera elle aussi d’autant plus forte. Selon le Professeur Sayed Azam-Ali, Directeur général de l’Organisation Crops for the Future, la demande en denrées alimentaires et en aliments pour animaux devrait au moins doubler au cours des trois prochaines décennies. Plus nous avançons dans cette Quatrième révolution industrielle, plus il nous faudra tirer parti de ses nouvelles technologies, telles que les drones, l’intelligence artificielle, la robotique, pour nourrir la planète de façon durable et économique, tout en protégeant ses ressources naturelles.
La sécurité des denrées alimentaires en jeu
Cette question figurait à l’ordre du jour de Davos. Lors d’une séance spéciale de la réunion annuelle du Forum économique mondial de 2018, différents leaders de l’industrie agroalimentaire, des pouvoirs publics, de la société civile, et d’entreprises du secteur de la viande et de la technologie alimentaire ont reconnu les pressions qu’exercent à trois niveaux la demande de la classe moyenne émergente, les questions de santé liées, dans le monde, aux carences ou à la surconsommation de viandes et de protéines, et l’importance de la durabilité environnementale, qui implique des changements dans le système de production de viande et de protéines au niveau mondial.
Dans ce contexte, une nouvelle initiative a été lancée afin de définir l’ordre du jour en matière de production mondiale de viande et de protéines en vue de garantir un éventail d’options universellement accessibles, sécurisées, abordables et durables et ainsi répondre à la demande de demain.
De grandes entreprises ont accordé une attention toute particulière à ce sujet. IKEA, par exemple, s’est penché sur la question de l’alimentation durable du futur, en misant sur les insectes. À Copenhague, la cuisine-labo du géant du meuble en kit a concocté des « burgers d’insecte », une recette associant betterave, panais et vers de farine, et des hotdogs à base d’algues. C’est un fait avéré : les insectes peuvent contribuer à soulager des systèmes alimentaires soumis à trop rude épreuve, y compris en ce qui concerne l’industrie des aliments pour animaux. On pense du reste que, dès l’an prochain, l’Union européenne autorisera l’utilisation d’insectes dans la fabrication des aliments destinés aux volailles et aux porcs.
La nécessité d’assurer la sécurité des denrées alimentaires n’a jamais été aussi impérative. L’épidémie d’infections par Escherichia coli qui a fait des victimes aux États-Unis en avril dernier était due, selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, plus grand organisme américain de santé publique, à la présence de cette bactérie dans des sachets de laitue romaine. Le New York Times a signalé à ce propos que près de 70 % des personnes infectées ont été hospitalisées et que la bactérie a provoqué chez plusieurs d’entre elles une insuffisance rénale. De récentes recherches menées à la Queen’s University de Belfast ont révélé que les nitrates utilisés lors du processus de traitement des viandes peuvent produire des substances chimiques susceptibles de favoriser l’apparition de cancers colorectaux.
Pour compléter le tableau, il faut encore ajouter une chaîne d’approvisionnement alimentaire de plus en plus complexe, une population mondiale qui explose, et la pression qui en résulte sur les ressources déjà mises à mal de la planète. On comprend aisément pourquoi les défis liés à la sécurité des denrées alimentaires suscitent des inquiétudes et pourquoi les leaders de tous les secteurs sont actuellement en quête de solutions.
Satisfaire aux exigences
Quelle serait la formule qui permettrait aux fabricants de produire systématiquement des denrées sûres pour les êtres humains et les animaux ? La norme ISO 22000, Systèmes de management de la sécurité des denrées alimentaires – Exigences pour tout organisme appartenant à la chaîne alimentaire, est une solution de nature à inspirer confiance. Mais, comme nous l’avons vu, la sécurité des denrées alimentaires tout au long de la chaîne d’approvisionnement a été souvent mise en cause depuis la première publication de cette Norme internationale en 2005, d’où la nécessité de procéder à une révision.
Jacob Faergemand, Président de l’ISO/TC 34, Produits alimentaires, sous-comité SC 17, Systèmes de management pour la sécurité des denrées alimentaires, et Directeur général de Bureau Veritas Nordic, un organisme de certification qui exerce ses activités au plan international, explique les principaux changements apportés à la norme, notamment les modifications au niveau de la structure, ainsi que la clarification des concepts clés. Comme il le précise : « Afin de répondre aux besoins du marché en matière de sécurité des denrées alimentaires, ISO 22000 est élaborée par les parties prenantes engagées dans des organisations œuvrant dans ce domaine : gouvernance, consommateurs, conseils, industrie et recherche. Lorsqu’un système de management pour la sécurité des denrées alimentaires est établi par les utilisateurs d’ISO 22000, vous êtes certain que les exigences du marché sont satisfaites. »
M. Faergemand cite à cet égard, à titre d’illustration exemplaire, la relation entre ISO 22000:2018 et le Codex Alimentarius, organe subsidiaire du système des Nations Unies créé pour mettre au point des lignes directrices à l’intention des gouvernements. « En raison du statut du Codex et de sa référence dans les textes de loi nationaux, ISO 22000:2018 a conservé un lien étroit avec les normes Codex, ce qui permet aux administrations publiques du monde entier de citer ISO 22000:2018 à titre de référence pour les exigences nationales et les inspections gouvernementales. »
Les organismes de sécurité des denrées alimentaires ont tenu en particulier à avoir une description claire des différences entre certaines définitions clés, notamment celles des points critiques pour la maîtrise (CCP) et des programmes prérequis opérationnels (PRPO), en conservant autant que possible le lien avec les définitions du Codex. M. Faergemand admet qu’il a été difficile d’obtenir un consensus sur cette tâche importante, « mais nous avons travaillé sans relâche et nous nous sommes attachés à établir cette distinction claire dans l’intérêt des utilisateurs de la norme ».
Maîtriser les risques
Une modification importante de la norme concerne l’introduction de la structure-cadre (HLS), commune à toutes les normes ISO de systèmes de management. Comme le fait valoir M. Faergemand, « cette nouvelle structuration facilitera la vie des organismes qui gèrent plusieurs systèmes de management en apportant un nouvel éclairage sur les différentes approches fondées sur le risque. Le concept de risque intervient à différents niveaux et il est important que les entreprises agroalimentaires distinguent bien l’évaluation des dangers effectuée au niveau opérationnel, du risque commercial (expliqué dans la nouvelle structure), qui intègre également la notion d’opportunités ».
Comme il le précise aussi, « la nouvelle version d’ISO 22000 donne des éclaircissements supplémentaires quant au fonctionnement du cycle PDCA (Planifier-Réaliser-Vérifier-Agir) qui intègre deux cycles PDCA distincts dans la norme, opérant l’un dans l’autre. Le premier cycle s’applique au système de management tandis que le second, imbriqué dans le premier, s’applique aux opérations, couvrant simultanément les principes HACCP tels que définis par le Codex ».
L’HACCP (analyse des dangers et des points critiques pour leur maîtrise), dont il est question plus haut, est un système basé sur l’application de différents principes dont l’objet est d’aider les industriels de l’alimentation à gérer leurs processus de production.
Ce système implique la mise en place de procédures permettant de garantir que les denrées alimentaires produites sont sans danger pour la santé. Pour Hanne Benn Thomsen, Spécialiste Senior, Système qualité, chez Chr. Hansen A/S, une entreprise de bioscience internationale qui met au point des solutions naturelles pour les industries des secteurs alimentaire, nutritionnel, pharmaceutique et agricole, la norme ISO 22000 révisée va au-delà des principes HACCP « classique ». En effet, comme elle le précise, « concernant le processus de production d’un aliment, l’accent y est davantage placé sur les éléments de risque à l’échelle plus générale de la chaîne d’approvisionnement ».
À ses yeux, la grande force d’ISO 22000 tient au fait qu’elle est reconnue dans le monde entier. « Tous les acteurs (directs ou indirects) de la filière alimentaire, peuvent obtenir la certification de conformité à la norme auprès d’un organisme indépendant non gouvernemental. En matière de sécurité des denrées alimentaires, le recours à la norme permet de disposer d’un langage commun, couramment accepté à l’échelle internationale. »
Partenariats
De l’avis de Benn Thomsen, comme il s’agit d’une norme très générique, la nouvelle version d’ISO 22000 aide à établir le cadre des systèmes à mettre en œuvre pour garantir la sécurité des denrées alimentaires. Un autre point tout aussi important qu’elle souligne : « la norme donne aux acteurs de la filière les outils pour apprécier, identifier et évaluer les dangers liés à la sécurité des denrées alimentaires et, en cas de danger imprévu, pour limiter le plus possible l’incidence sur les consommateurs, en sachant gérer avec maîtrise les produits concernés ».
Comment promouvoir l’effort de coopération public-privé nécessaire pour établir un éventail de solutions sources de protéines de nature à satisfaire aux demandes de demain dans le sens des Objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD) ? À cet égard, sur tous les marchés – dans le monde développé comme dans le monde en développement – il faut conjuguer politique gouvernementale et coopération internationale. La nouvelle version d’ISO 22000 joue un rôle clé pour l’ODD 17 : « Partenariats pour la réalisation des objectifs ». Pour Paul Besseling, qui travaille pour Précon Food Management et assure la liaison officielle du SC 17 auprès du Codex Alimentarius, « quand il s’agit de sécurité des denrées alimentaires, il est extrêmement important pour les consommateurs, et pour la société dans son ensemble, que les autorités et les entreprises utilisent les mêmes principes et les mêmes approches. En termes de politique de sécurité sanitaire des aliments, l’alignement des lois et des normes d’entreprises est une question hautement prioritaire. L’Union européenne appuie du reste les initiatives ISO 22000 ».
Soulignant l’importance de l’articulation d’ISO 22000 avec les Principes généraux d’hygiène alimentaire (PGHA) du Codex Alimentarius, en dépit de leurs différents rôles intrinsèques, il précise : « L’objectif des PGHA est d’apporter soutien et harmonisation dans le monde entier aux autorités compétentes en matière de sécurité sanitaire des aliments pour l’établissement de leurs lois et des contrôles ou inspections officiels consécutifs. ISO 22000 a pour vocation d’aider les exploitants du secteur alimentaire à se conformer à ces lois, à satisfaire aux exigences des clients, à poursuivre leurs activités et à les améliorer. »
Instaurer la confiance
M. Besseling fait valoir que la nouvelle version de la norme se focalise davantage sur les parties prenantes externes de la filière. « La norme permettra aux exploitants du secteur de mieux comprendre les risques que des produits alimentaires dangereux peuvent faire peser sur leur entreprise et renforcera leur position dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire. » En ce qui concerne les autorités compétentes en sécurité des denrées alimentaires, cet alignement est important car « il soutiendra leurs efforts et facilitera leur mission ».
Pour conclure, comme le rappelle M. Besseling, « avoir l’assurance que leurs systèmes de management de la sécurité des denrées alimentaires sont conformes à la législation pertinente est une chose très importante pour les exploitants de la filière et, en principe, les autorités législatives savent que les exploitants qui ont un système de management ISO 22000 en place respectent les exigences légales ».