S’il est généralement admis qu’une marque peut être un atout stratégique déterminant pour une entreprise, comment peut-on précisément l’évaluer ? Les marques sont des actifs incorporels, contrairement aux actifs corporels tels que les usines, les bureaux ou les devantures de magasins, ce qui constitue un défi pour les normes comptables classiques.
Comme suite à la publication récente d’ISO 20671, Évaluation des marques – Principes et fondamentaux, le Président du comité technique ISO/TC 289 sur l’évaluation des marques, Bobby J. Calder, nous explique comment il a été tenu compte des exigences techniques et des méthodes utilisées pour mesurer la force d’une marque. Cette norme élargit la portée d’ISO 10668, Évaluation d’une marque – Exigences pour l’évaluation monétaire d’une marque, qui porte principalement sur la détermination de la valeur financière des marques. Finalement, ISO 20671 vise à faciliter le règlement des divergences d’opinion concernant les traitements comptables habituels d’une marque.
Selon M. Calder, c’est là où des différends peuvent surgir. D’après lui, le nœud du problème est que « la finance et le marketing ne parlent pas le même langage. Le marketing cherche à justifier les dépenses liées aux marques, et la finance vise à les contrôler ». L’un et l’autre doivent collaborer pour traiter les marques non pas comme une source de dépenses, mais comme un actif financier essentiel.
Ainsi donc, comment ces deux fonctions – souvent en désaccord – qui sont présentes dans la même entreprise peuvent-elles progresser vers une compréhension commune des marques ? Bobby J. Calder nous fait part de son point de vue.
ISOfocus : Qu’entend-on par « marque » et pourquoi l’évaluation des marques est-elle importante ?
Bobby J. Calder : Une marque consiste en diverses images caractéristiques qui comprennent des noms, des termes, des logos et/ou des signes destinés à aider une entreprise à se distinguer des autres sur le marché. Si la marque peut être commerciale ou à but non lucratif, sa fonction est, dans tous les cas, de créer une entité reconnaissable sur le marché qui, pour le consommateur, ajoute de la valeur au produit. En conséquence, les marques sont les perceptions, les avantages et les expériences que les consommateurs associent à un bien ou à un service. Du point de vue de l’entreprise, la marque a principalement pour objet d’augmenter le flux de trésorerie par des prix majorés, des coûts réduits, un volume accru ou une meilleure fidélisation conduisant à la récurrence des achats.
En tant qu’actifs incorporels, les marques, contrairement aux machines, aux bâtiments ou aux produits, sont immatérielles. Bien qu’elles puissent avoir une valeur corporelle en tant que marques de commerce ou listes de clients, leur valeur primaire est incorporelle. L’avantage économique que devrait en tirer l’entreprise découle de l’association qui s’effectue dans l’esprit du consommateur. C’est d’ailleurs le défi consistant à déterminer la manière de reconnaître et d’évaluer efficacement une marque en tant qu’actif incorporel qui a conduit à la création d’ISO 20671.
En général, les actifs incorporels tels que les marques ne cessent de gagner en importance sur le plan économique. Bien que les rapports sur le PIB n’en fassent pas mention officiellement, les économistes estiment que la valeur des actifs incorporels est supérieure à celle des actifs corporels dans la plupart des pays développés. Et ces actifs incorporels distinguent de plus en plus les entreprises qui connaissent le succès de celles qui connaissent un succès moindre. Cette situation macroéconomique souligne la nécessité de transcender les traditions comptables et financières et de traiter les marques comme faisant partie intégrante du processus de création de valeur des entreprises.
De fait, il apparaît depuis longtemps nécessaire de combler le fossé entre le marketing et la finance. Les possibilités offertes notamment par les réseaux sociaux, les applications mobiles ou les parrainages facilitent indubitablement le développement des marques, mais c’est la place que ces marques occupent dans l’esprit des consommateurs qui doit retenir notre attention. Plus grande est la « force » de la marque à peser sur les décisions d’achat des consommateurs, plus grande est sa valeur pour l’entreprise en tant qu’actif financier. Les entreprises ont besoin d’évaluer périodiquement la force de la marque et sa contribution au rendement économique. Cette évaluation permet en effet de prendre de meilleures décisions concernant l’investissement dans les activités de développement de la marque.
Pourquoi l’ISO a-t-elle créé un comité technique sur l’évaluation des marques ?
S’il existe actuellement de nombreux paramètres de marketing servant à évaluer une marque (notoriété, propension à recommander, etc.), il n’y a aucun cadre commun ou accepté qui permette d’établir un lien entre la valeur d’une marque pour les consommateurs et la valeur qu’elle apporte à l’entreprise. ISO 10668, Évaluation d’une marque – Exigences pour l’évaluation monétaire d’une marque, aborde la question du point de vue de l’évaluation financière, mais, de l’avis général, sa portée est limitée. Elle met l’accent sur trois méthodes d’évaluation. L’approche par le marché consiste à évaluer la marque par référence au prix d’une marque comparable. L’approche par les revenus se réfère à la valeur actuelle des flux de trésorerie futurs dont une entreprise bénéficierait en utilisant la marque. L’approche hybride fait référence aux économies réalisées sur la base des redevances dont une entreprise devrait s’acquitter pour utiliser sous licence la marque si celle-ci appartenait à une autre entité.
Notre comité technique a élaboré la norme ISO 20671, Évaluation des marques – Principes et fondamentaux, afin de proposer un cadre élargi pour l’évaluation des marques. Les entreprises doivent pouvoir considérer cette norme comme une ressource utile pour rationaliser leur façon de traiter les marques et être en mesure de faire ressortir plus exactement la valeur d’une marque à l’intention des décideurs internes et des investisseurs externes. De plus, les entreprises ont continuellement besoin de réduire le risque économique, et le fait de pouvoir déterminer la valeur d’une marque est un autre outil utile à cet égard.
ISO 20671 est la première Norme internationale portant sur l’évaluation des marques. Pouvez-vous nous en dire plus sur les principes essentiels propres à cette norme ?
De fait, si l’ISO peut le faire pour la qualité de produits tels que les câbles USB, pourquoi pas pour les marques ? L’élaboration de normes pour l’évaluation des marques est donc une étape logique pour l’ISO. De nos jours, les spécialistes du marketing ont de nombreuses façons différentes d’analyser les marques et de communiquer à leur sujet, et les entreprises emploient des méthodes très diverses. En tant que spécialistes du marketing, nous devenons parfois nos pires ennemis en forgeant notre propre jargon, et en semant la confusion parmi les collaborateurs internes à notre entreprise, et encore plus parmi les personnes qui y sont étrangères. La norme ISO 20671, en donnant des définitions claires de termes spécifiques, contribue à dissiper cette confusion et fournit en outre un cadre global auquel chacun peut se référer.
Les organismes doivent avoir pour principe essentiel de s’appuyer sur ce cadre pour commencer à relier le point de vue des spécialistes du marketing au processus interne d’investissement et de gouvernance, et pour envisager des moyens de communiquer cette information aux investisseurs externes. ISO 20671 est par conséquent un point de départ utile pour les entreprises et les organismes qui souhaitent accroître la valeur de leur marque. Elle propose un point de vue universel sur des mesures financières et non financières, dans la perspective de l’élaboration future de normes plus spécifiques en concertation avec les entreprises engagées dans ce processus.
Quelles sont vos attentes à l’égard de ces normes ?
En tant que concept, ISO 20671 peut servir à toutes les entreprises souhaitant mesurer plus efficacement la valeur de leur marque. Pour l’heure, il n’est pas nécessaire qu’elle s’applique de manière spécifique à l’ensemble des produits, des secteurs d’activité et des services. Il importe beaucoup plus de s’accorder d’abord sur les définitions générales et le cadre global et de s’employer ensuite à définir des lignes directrices plus particulières.
Selon moi, à plus long terme, cette démarche pourrait se rattacher à de nombreuses questions concernant l’avenir des entreprises. Par exemple, un débat est en cours pour savoir si les entreprises devraient exclusivement s’efforcer de porter la valeur à son maximum pour les actionnaires et les propriétaires ou de créer de la valeur pour l’ensemble des parties prenantes. Il existe de bons arguments d’un côté comme de l’autre. Je pense qu’il est possible d’aborder cette question en considérant que les marques pourraient bien permettre à une entreprise de faire les deux. Les entreprises peuvent créer des marques qui intègrent la notion de durabilité et d’autres objectifs positifs dans l’idée même que le consommateur se fait de la marque. Ces marques seraient ainsi renforcées et produiraient des rendements plus élevés pour les actionnaires ainsi que des rendements sous forme de capital sociétal pour les parties prenantes.