Genève, plateforme opérationnelle majeure du système international, regroupe de nombreux acteurs qui jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD). L’ISO, qui coopère de longue date avec l’Organisation des Nations Unies (ONU), occupe une place de premier plan pour relever certains des plus importants défis qui se posent à l’échelle planétaire, et elle continuera d’être une force de transformation à l’avenir, sur le chemin tracé par la feuille de route pour 2030.
Nous devons aujourd’hui faire face à des défis mondiaux plus complexes et plus interdépendants que jamais. Bien souvent, même le problème le plus local présente une dimension qui dépasse son strict périmètre. Il est donc primordial, dans les actions collectives que nous devons mener d’ici à 2030, d’adopter une approche intégrant les différentes parties prenantes pour aborder le développement durable.
ISOfocus s’est entretenu avec Michael Møller, Directeur général de l’Office des Nations Unies à Genève (UNOG), pour examiner quelques-uns des grands enjeux auxquels notre monde est aujourd’hui confronté et comment il convient de les aborder, et en quoi la force des normes peut faire la différence.
ISOfocus : Comment le monde s’approprie-t-il le Programme 2030 ?
Michael Møller : Depuis l’adoption du Programme 2030 par les 193 États Membres des Nations Unies en septembre 2015, une dynamique sans précédent s’est créée partout dans le monde afin de réaliser les Objectifs de développement durable. Des efforts sont déployés à plusieurs niveaux, par de nombreuses parties prenantes. Les gouvernements, les organisations de la société civile, les instituts universitaires, les entreprises, l’Organisation des Nations Unies elle-même et d’autres organisations internationales unissent leurs efforts pour obtenir des résultats plus rapidement.
Aux Nations Unies, le système de développement tout entier s’emploie à soutenir les États Membres dans la mise en œuvre du Programme. Des réformes sont par ailleurs en cours au sein des institutions de l’ONU pour renforcer encore l’efficacité du système, qui doit capitaliser sur l’expertise des différentes entités onusiennes. D’autres organisations internationales aussi se mobilisent pour intégrer les ODD dans leurs plans de travail et adaptent leurs stratégies et leurs activités pour traduire en actes la vision et les objectifs du Programme 2030.
À l’échelon national, de nombreux pays ont opéré des changements de politique mûrement réfléchis afin de prendre en compte la dimension systémique des ODD, montrant ainsi leur attachement à un Programme qui préconise une nouvelle façon de fonctionner. Mais le changement le plus efficace se situe dans la façon dont les acteurs s’engagent les uns aux côtés des autres. Chacun reconnaît que ce Programme ne peut aboutir qu’en s’appuyant sur des partenariats stratégiques et une collaboration active entre les organisations et les différentes parties prenantes. À Genève, l’office que je dirige s’emploie tout particulièrement à mettre en relation les différents partenaires et à démontrer qu’ils sont plus que la somme des éléments qui les composent. En janvier 2017, j’ai lancé le SDG Lab, qui a pour mission de faciliter les connexions et les rencontres dans l’écosystème de Genève. Cette initiative a déjà donné de très bons résultats, avec notamment la mise en place de partenariats stratégiques destinés à soutenir la mise en œuvre du Programme au niveau des pays.
Quelles mesures importantes ont été prises depuis l’adoption des ODD en septembre 2015 ? Et surtout, sommes-nous sur la bonne voie, en particulier si l’on compare les ODD avec leurs prédécesseurs, les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ?
Le Forum politique de haut niveau pour le développement durable, qui se réunit tous les ans sous les auspices de l’Assemblée générale et du Conseil économique et social des Nations Unies joue un rôle central dans le suivi et l’examen de la mise en œuvre du Programme 2030 au niveau mondial. Deux Forums se sont tenus depuis septembre 2015, et un troisième s’est réuni à New York en juillet 2018. Un nombre croissant de parties prenantes participent à cet examen annuel, au cours duquel les pays mettent en commun leurs résultats et leurs difficultés par le biais d’examens nationaux volontaires.
Cette manifestation annuelle est un moment clé pour aborder les opportunités et les obstacles communs qui se présentent dans la réalisation des ODD et pour tirer des enseignements des différentes pratiques, celles qui sont couronnées de succès et celles qui le sont moins. C’est aussi l’occasion de concevoir de nouvelles solutions pour surmonter les obstacles. Certains problèmes récurrents commencent à émerger, comme l’obtention des ressources financières et la mise en place de politiques et de budgets transsectoriels, mais on observe aussi des tendances encourageantes comme le rôle de la technologie comme accélérateur des résultats en matière de développement.
Quel est le degré de partenariat, en particulier ici à Genève ? Dans quelle mesure l’ISO contribue-t-elle à la réalisation des ODD ?
Les partenariats, notamment les partenariats « inhabituels », sont essentiels à la réalisation des ODD. Il nous faut regarder du côté des collaborations multipartites mettant en jeu des partenaires inattendus qui unissent leurs forces pour faire émerger de nouvelles solutions grâce à leur expertise, différentes mais complémentaires. Outre la diversité des connaissances, il nous faut aussi diversifier nos sources de financement, afin que les risques et les opportunités soient partagés et que les programmes puissent bénéficier d’un apport financier régulier.
À Genève, le SDG Lab a participé à la création du réseau « Geneva 2030 Ecosystem », une pépinière de relations et de partenariats innovants regroupant différents acteurs de cette ville unique en son genre pour aider à la mise en œuvre des ODD. Les initiatives de collaboration connaissent un dynamisme sans précédent. L’ISO, dont l’activité centrale est la normalisation, est de toute évidence un acteur majeur dans la réalisation des objectifs. Son portefeuille de plus de 22 000 Normes internationales couvre la quasi-totalité des ODD, de l’industrie à la santé en passant par la technologie et l’éducation, et ouvre la voie à des partenariats florissants.
Comment les normes ISO peuvent-elles, selon vous, contribuer à la réalisation des ODD ?
En tant qu’organisation indépendante non gouvernementale, l’ISO joue un rôle essentiel dans la définition de normes qui contribueront à soutenir l’innovation. Cet aspect est fondamental pour obtenir plus rapidement des résultats.
Le processus d’élaboration de normes lui-même est le fruit d’un dialogue et d’un travail en partenariat, tout à fait dans l’esprit du Programme 2030. De plus, le suivi et la mesure des progrès sont des éléments essentiels à la réalisation des ODD. Dans ce domaine, les normes ISO nous aident à mesurer les réussites et à identifier les problèmes.
Vous êtes l’un des initiateurs du réseau International Gender Champions, dont l’ISO fait désormais partie. Comment, selon vous, ce réseau va-t-il se développer à l’avenir ? Comment des organisations comme l’ISO peuvent-elles contribuer à faire avancer ces objectifs ?
Le réseau International Gender Champions regroupe des décideurs et des décideuses déterminés à briser les obstacles qui existent entre les femmes et les hommes et à faire de l’égalité entre les sexes une réalité dans leurs sphères d’influence. Depuis son lancement à Genève, au Palais des Nations, en juillet 2015, cette initiative a rallié 205 champions à travers le monde, qui ont pris quelque 600 engagements dans différents domaines : bonne gouvernance ; leadership et responsabilité ; sélection et recrutement ; équilibre vie professionnelle-vie privée ; service organisationnel ; réunions, conférences et délégations ; et travail programmatique et de terrain.
De plus en plus de leaders comme le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, et le Secrétaire général de l’ISO, Sergio Mujica, ont rejoint l’initiative. Je suis fermement convaincu que le réseau des champions continuera de croître dans le futur. En prenant des engagements concrets et réalisables à leur niveau, comme la promesse d’atteindre la parité dans les groupes de travail, ces champions, ambassadeurs, directeurs d’agences et acteurs de la société civile auront une influence considérable sur la réalisation de l’ODD 5 (égalité entre les sexes), lequel est fondamental pour la mise en œuvre globale des objectifs.
Pour des organisations comme l’ISO, promouvoir la participation effective des femmes aux travaux techniques – auxquels elles apportent un point de vue unique tout en faisant de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée une réalité –, c’est contribuer non seulement à l’égalité entre les sexes mais aussi à la réalisation d’autres objectifs, par la prise en considération des questions de genre dans les livrables.
Si vous vous projetez en 2030, avez-vous des réflexions ou des aspirations particulièrement importantes à nous livrer ?
Il y a deux concepts qui me tiennent à cœur. Tout d’abord, le « changement d’état d’esprit ». Appliquer le Programme 2030, c’est penser et envisager les choses différemment. Travailler chacun pour soi n’est pas une méthode efficace et nous devons créer des dispositifs pour inciter les gens à sortir de leur zone de confort dans le secteur qui est le leur. Pour que les choses changent, nous devons montrer l’exemple à tous les niveaux opérationnels. Le second concept auquel je tiens est la « transformation ». Parce qu’ils sont indivisibles et universels, les ODD ont un véritable pouvoir de transformation. Il ne fait aucun doute que le Programme 2030 est une opportunité historique de montrer comment le monde ne fait qu’un pour mettre en commun ses problèmes et ses solutions pour un développement durable.